Feuille d’information du 25 au 31 mai 2025

Feuille d’information du 25 au 31 mai 2025

« Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ?

de sauver une vie ou de tuer ? » (Mc 3,4)

Cette question de Jésus résonne étrangement à nos oreilles. Deux projets de loi sont en discussion à l’Assemblée Nationale, dans une chambre à moitié vide alors même qu’unanimement l’ensemble des responsables de culte en France parlent d’une « rupture anthropologique » majeure. Ces deux projets se saisissent d’une question intime : des proches, parfois nous-mêmes, en situation de grande souffrance physique ou psychique, un diagnostic médical sans appel, autant de situations dans lesquelles « on veut que cela cesse ». Face à cette détresse de l’âme et du corps, les soins palliatifs ont montré toute leur pertinence depuis les lois Leonetti votées en 2005 et 2016. Il manque encore de moyen pour que tout français puissent en bénéficier. Ce projet de loi sera probablement rassembleur. Le second projet de loi, sur « l’aide active à mourir » révèle au contraire des clivages très profond : aucune consigne de vote parmi les 11 groupes parlementaires. En matière d’éthique, il n’y a plus de doctrine partagée, ne reste que la conscience individuelle. La leur, la nôtre. Le sujet mérite toute notre attention.

Le bon sens du geste fraternel

Peut-on aider quelqu’un à se suicider, parce qu’il veut en finir avec une vie devenue désormais insupportable ? L’image qui me vient en tête est celui d’un homme sur le parapet d’un pont, qui veut en finir lui aussi. Passant, que ferons-nous ? Lui proposerons-nous le geste qui lui manque pour qu’il saute ? Ou bien lui proposerons-nous de discuter, lui offrirons-nous une écoute, en cherchant comment apaiser sa douleur ?

Poser la question en termes rationnels

Cette manière concrète de poser la question, faisant appel au « bon sens », doit aussi être accompagnée d’une réflexion qui implique la raison pour chercher ce qui est « juste et bon ». Nous croyons la raison capable de ce travail. Pour supprimer la souffrance, supprimer la personne constitue-t-il une solution rationnellement satisfaisante ? Ajoutons un élément de discernement : y-a-t-il une alternative ? Nous répondons : oui, elle existe, il s’agit des soins palliatifs ; elle a besoin d’être financée.

Un discernement éthique

L’exercice de la raison dans le domaine de l’agir humain (« que dois-je faire ? ») est appelé « éthique » ou « morale ». Il admet des principes fondamentaux, toujours utiles pour aider au discernement : « ne fais pas à quelqu’un ce que tu ne souhaiterais pas que l’on te fasse ». L’un des principes de l’éthique chrétienne est qu’« il n’est jamais permis de faire un mal pour un bien » (cf. Rm 3,8), car « il n’est jamais permis de faire le mal ». Il y a des gestes qui donnent la vie, il y a des gestes qui donnent la mort.

Un discernement collectif

Parce qu’il s’agit d’une loi, la réflexion doit être collective, elle engage un « nous ». Comme chrétiens, nous refusons la prévalence désormais hégémonique de la logique des libertés individuelles (« que chacun fasse ce qu’il veut », « donnons le choix ») au motif qu’elle ruine la construction d’un commun, et qu’elle ne s’intéresse pas aux critères de la vérité et de l’amour. Quelle société voulons-nous ? Autour de quelle valeur voulons-nous qu’elle se construise : le « validisme » ? le soutien inconditionnel à toute personne en situation de fragilité ?

La fragilisation de la solidarité et de la fraternité

La loi sur l’aide à mourir fait partie de ces lois symboliques, « métapolitiques », qui dessinent un monde. En l’occurrence, c’est un renversement des valeurs sur lesquels nos sociétés se sont construites : le combat contre ce qui fait mourir. Il faudra récrire le serment d’Hippocrate prononcé par les médecins (« Je ferai tout pour soulager les souffrances. (…) Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. »). Désormais celui qui est malade devra affronter cette pensée : « je pèse sur mes proches, je coûte à la société, je ferai mieux de m’éclipser discrètement ». Jusqu’à aujourd’hui, notre code pénal « réprime la promotion du suicide, interdit l’empoisonnement (même pour des motifs compassionnels), réprime la non-assistance à personne en danger. Dispositions utiles dans un pays qui compte 200 000 tentatives de suicide par an. » (J. Auriach, La Croix, 21 mai). C’est tout l’édifice d’une authentique fraternité et solidarité qui disparait. C’est tout le message qui devient confus.

Pour le chrétien

La question est posée dès le début de la Bible : « qu’as-tu fait de ton frère ? ». Elle nous oblige : quels actes sont-ils à même d’exprimer en vérité l’amour du prochain ? « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Le Christ te propose de le trouver là aussi, dans chaque frère et chaque sœur, surtout les plus pauvres, les plus méprisés et les plus abandonnés de la société. » (Dilexit nos, 213). « Il n’éteindra pas la mèche qui faiblit ». (Is 42,3). Voilà la façon du Christ. Le Christ donne sa vie pour donner la vie.

Père Louis THIERS