Dimanche 20 février 2022 Feuille d’informations et Edito

Feuille d’informations – du 20 février au 5 mars 2022

Amour et vérité

              À la sortie d’une audience du procès des assassins de l’abbé Jacques Hamel, Guy, paroissien de Saint-Étienne-du-Rouvray et victime, lui aussi, de la folie des terroristes a déclaré : « Nous n’avons pas perdu notre temps ce matin. » Pourtant aucun nouvel élément n’a été apporté, le récit qu’il a fait était déjà connu des enquêteurs et des magistrats instructeurs : aucun élément nouveau mais le cœur de l’œuvre de justice était ailleurs jeudi matin. L’œuvre de justice est décrite dans les mots poignants de ce vieil homme survivant de la terrible matinée du 26 juillet 2016 : « Mon rêve serait que ceux qui ont donné des ordres viennent demander pardon. Ce serait un rétablissement de la communauté ». Touché par ce témoignage, l’un des accusés a demandé pardon à la fin de l’audition de Guy et de la sœur de l’abbé Hamel. Guy et Roseline ne semblent pas attendre du procès une sorte de vengeance ou une réparation mais ils nous disent que la justice va permettre la restauration des liens qui nous unissent dans notre commune humanité.

Il nous semble souvent que l’attitude que peuvent avoir ces deux personnes est trop angélique ou du moins inaccessible à la plupart d’entre nous. C’est aussi ce que nous pouvons penser de l’injonction de Jésus que nous entendons ce dimanche dans l’évangile : « Aimez vos ennemis ». Nous réduisons si facilement l’amour au seul sentiment qui nous fait être bien avec quelqu’un que nous ne pouvons pas envisager d’aimer ceux qui nous font du mal. Mais l’amour n’est pas seulement le sentiment qui nous fait être bien avec quelqu’un. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent. » (Ps 84) : L’amour du Seigneur tel que le demande le psalmiste n’ignore pas le mal commis ni la faute à l’origine de l’exil qui nous éloigne de Dieu. L’amour exige la vérité et la justice restaure la paix. Aimer ses ennemis c’est d’abord dire le mal qui a été commis. Jésus ne nous demande pas d’être ami avec nos ennemis en faisant comme si rien ne s’était passé, il parle bien des ennemis, c’est-à-dire de ceux qui nous ont fait du mal. Les aimer ce n’est pas chercher à nous sentir bien avec eux en nous forçant à oublier le mal commis. Aimer ses ennemis c’est aimer d’abord Dieu qui nous a créés chacun à son image et aimer cette communauté humaine que nous formons. À cause de cet amour nous ne voulons pas que le mal détruise définitivement le lien qui nous relie à Dieu avec les autres. Nous ne voulons pas non plus que le bien qui est en chacun de nous soit complètement enfouis par le mal commis.

Bien qu’elle ne soit pas connue du grand publique, une grande réforme vient d’avoir lieu : celle du droit pénal de l’Église. (Il serait trop long de vous expliquer ici les enjeux d’un droit pénal dans l’Église mais je serais tout disposé à parler du droit canonique à ceux que ça intéresse). Dans le décret de promulgation de cette réforme, le pape François réaffirme que « la sanction a une fonction salvatrice ». Étrange, à première vue, que la peine puisse être salutaire, c’est-à-dire qu’elle puisse concerner notre salut. Mais pourtant le salut est bien l’œuvre de Dieu qui veut restaurer la communion avec lui et entre les hommes que le mal blesse. Aimer notre ennemi c’est, en vérité, l’inviter à assumer ses actes et chercher avec lui la justice pour rétablir la paix. Cet amour peut donc passer parfois par une peine, une sanction qui exprimera que le coupable assume les conséquences de ses actes et qu’il cherche à se convertir et à réparer autant que possible le mal commis.

Aimer ses ennemis n’est donc pas une affaire de sentiment mais surtout et d’abord une affaire de justice et de vérité en vue de rechercher la paix, don de Dieu que nous avons mission d’entretenir.

 

Abbé Sébastien Courault